Clos Rougeard au Québec: c'est terminé

C'est avec une grande déception que j'ai appris la nouvelle, qui n'a toutefois pas de lien avec l'immense tristesse suscitée par le décès de "Charlie" Foucault, l'un des légendaires frères derrière le célèbre domaine.

Comme vous le savez, on en parle ici depuis longtemps, la SAQ a développé depuis quelques années l’habitude de « réquisitionner » des vins prestigieux, autrefois distribués en importation privée. Le prétexte officiel est celui de la « démocratisation » de la distribution, i.e. faire tirer au sort les vins dans le Courrier Vinicole pour permettre à tous les Québécois d’avoir une chance d’en gagner...ça sonne bien, hein?

Vous y croyez ?

Libre à vous, mais comme on parle souvent de quelques caisses, on peut aussi penser plus cyniquement qu’il s’agit d’attirer l’attention sur le Courrier Vinicole afin de mousser les ventes d'autres produits moins prestigieux qui y sont offerts en même temps. Une technique classique, les détaillants le font constamment. On connaît la suite : le consommateur « créatif » envoie vingt cinq commandes au nom de son/sa conjoint(e), ses beaux-frères,  amis, cousins, garagistes, etc…(voire son « poisson rouge » pour reprendre l’expression consacrée)….vive la distribution démocratique!

J’ouvre une parenthèse : il faut savoir que la SAQ fait plus d’argent sur les IP. Ils prennent une marge de 10% plus élevée, les vins n’occupent pas d’espace sur les tablettes et ils n’ont pas d’effort de vente à faire. Rappelons le rapport de la Commission Robillard dénonçant les frais d’administration élevés de la SAQ, :
http://www.lapresse.ca/actualites/national/201508/31/01-4896640-commission-robillard-la-saq-et-revenu-quebec-dans-le-collimateur.php

L’importation privée paraît toute indiquée pour améliorer la rentabilité.

Évidemment, la SAQ est libre de faire le marketing comme elle veut. Mais les méthodes consistant à le faire contre le gré des producteurs peuvent faire sourciller.

Venons-en au Clos Rougeard, un domaine qui me tient à cœur comme à plusieurs.

Il est ironique de savoir que pour le millésime 2004, une lettre du laboratoire de la SAQ intimait au domaine de mettre plus de souffre dans ses vins s’ils voulaient continuer à être distribué dans le réseau SAQ...  Évidemment, la lettre fut mal reçue  
Le style des vins et les méthodes de vinification n'ont pas changé depuis trois générations! Longtemps avant que le bio ou le sans-souffre ne soient à la mode, ils passaient pour des fous! Voir à ce sujet cette entrevue fabuleuse: La révolution immobile des frères Foucault

https://www.youtube.com/watch?v=ubagNHM110o

Le domaine n’a évidemment pas changé ses méthodes. Heureusement, les frères se sont laissés convaincre par leur agent de revenir en importation privée.

Or, tout a changé avec le millésime 2009, la notoriété du domaine suscitant désormais l’intérêt de la SAQ qui le voulait pour le Courrier Vinicole (on souffrait désormais qu’il y ait moins de souffre!).

Pour les 2010, les frères Foucault voulaient de nouveau distribuer leurs vins entièrement en importation privée, mais la SAQ a refusé.  Je vous épargne les détails de « négociations » avec un monopole d’état…Les Foucault ont lâché du lest, ils étaient prêts à envoyer une certaine quantité pour le CV, avec le reste en IP. La SAQ voulait plus, le dossier stagne pendant un an, elle refuse toujours l’importation privée.

Ceci soulève bien des questions…D’abord, une réquisition, ça rappelle certains régimes totalitaires du 20e siècle, ce qui n’évoquera pas de tendres souvenirs pour aucune famille de vignerons Européens! Ensuite, certains vignerons veulent récompenser les clients de la première heure, soit ceux qui les ont soutenus en achetant leurs vins avant la grande consécration, quand ils étaient moins connus.

Outre la méthode, il y a les délais, qui en disent long : les 2010 destinés au Québec sont encore au domaine alors que tous les clients ont pris livraison de leur allocation depuis belle lurette. Pire, les 2011 alloués au Québec sont prêts pour enlèvement depuis octobre 2015!!  Il y a donc un millésime de retard. Or, quotidiennement, les Foucault reçoivent des appels de clients qui les implorent de leur vendre du vin. Ils auront pourtant gardé fidèlement deux millésimes pour le Québec, avec une allocation dont rêveraient beaucoup d’importateurs sur la planète.

La SAQ est restée sur ses positions, comme le célèbre Nady Foucault. Résultat ? Les vins iront en Ontario.    La LCBO encaissera ces revenus, les amateurs et restaurateurs québécois devront s’en passer ou les chercher ailleurs. Un résultat lamentable, encore plus triste dans la foulée du décès du regretté Charlie.

Le dossier Rougeard n’est pas unique, malheureusement. Mais les Foucault eux, n’ont pas besoin du Québec pour écouler leurs vins. Ils peuvent donc avoir le courage de leurs convictions.  

N’est-il pas gênant pour l’image du marché québécois que de voir notre monopole tordre ainsi le bras à des producteurs vénérés, au point de leur empêcher l’accès au marché en IP? J'aimerais leur faire lire la jurisprudence sur la notion d'abus de monopole....en attendant, je vais devoir m'intéresser au marché Ontarien  

Bon bien adieu au fait de pouvoir acheter du Rougeard! Les prix vont s'enflammer aux USA, s'écouler rapidement en Ontario (probablement via les Classiques...).

Triste en effet, mais bon, au moins je pourrai dire que j'en ai bu...

Très triste en effet et désolant. Comme tu le dis ce n'est pas le seul exemple. La SAQ a un grand besoin d'humilité.

Excellent texte Yves.
En espérant que ce genre de situation ne se reproduise pas avec d'autre vigneron.

ps: tu nous diras comment aller chercher ces vins....

Merci de l'information Yves.

Excellent texte Yves!

Je ne comprends pas cette entêtement de la SAQ à vouloir absolument contrôler qui obtiendra les bouteilles (pcq nous ne leurrons pas, elle ne le fait pas pour l'amateur moyen...!)! Pour récompenser des clients fortunés, du club des 100, qui ne veulent que du prestige pour flasher? La SAQ tente d'imposer sa pratique commerciale auprès de grands domaines qui ne dépendent pas d'elle pour leur rentabilité commerciale... Bien dommage pour nous que cette attitude narcissique de la part des dirigeants de la SAQ!

Un texte qui égale la montée de lait d'Olivier sur la vente des Clos des papes 2005!

Alexandre Deslauriers a écrit:Excellent texte Yves!

Je ne comprends pas cette entêtement de la SAQ à vouloir absolument contrôler qui obtiendra les bouteilles (pcq nous ne leurrons pas, elle ne le fait pas pour l'amateur moyen...!)! Pour récompenser des clients fortunés, du club des 100, qui ne veulent que du prestige pour flasher? La SAQ tente d'imposer sa pratique commerciale auprès de grands domaines qui ne dépendent pas d'elle pour leur rentabilité commerciale... Bien dommage pour nous que cette attitude narcissique de la part des dirigeants de la SAQ!

Je crois que c'est 4-5 employés qui ont le pouvoir de le faire et qui le font pour se justifier un emploi... Mais bien d'accord avec toi que la SAQ ni gagne en rien car ce sont tous des vins qui se vendent rapidement sans ces promotions ou club des 100 ou 25.

Ludwig Desjardins a écrit:Un texte qui égale la montée de lait d'Olivier sur la vente des Clos des papes 2005!

Haha, un classique celui-là!

Alex, le Club des 100?? voyons ça n'existe pas

(n.b.: y a encore des dirigeants de la SAQ qui nient ce secret de polichinelle)

J'espère que vous pourrez vous en sortir sans Rougeard les boys...

Merci Yves d'avoir pris le temps de nous expliquer tout ça.Je n'ai trempé mes lèvres dans du Rougeard qu'une seule fois - mais ce n'est pas seulement pour ça que ça me désole.

Encore une fois, on fait face au constat choquant d'un monopole d'une minuscule région de la terre qui tient les fils des marionnettes (avec la musique du Parrain en arrière-plan) et qui se pense tout-puissant sur la scène internationale - ce ne sera pas le dernier K.O. que la SAQ recevra des vignerons, et nous en paierons les frais.

Mais Stéphanie pour la SAQ il ne s'agit pas vraiment d'un KO, ça représente des ventes insignifiantes pour elle... On peut bien être frustrés, même si une infime partie de nous en aurait eu en réalité, mais concrètement on va continuer à acheter autant de vins au monopole, c'est ça qui est fâchant. Bien entendu pour les amateurs que nous sommes ça sera considéré comme un irrespect du producteur et de ses fidèles clients.

Yves Martineau a écrit:

Ludwig Desjardins a écrit:Un texte qui égale la montée de lait d'Olivier sur la vente des Clos des papes 2005!

Haha, un classique celui-là!

Alex, le Club des 100?? voyons ça n'existe pas  

(n.b.:  y a encore des dirigeants de la SAQ qui nient ce secret de polichinelle)

Pourtant, la SAQ l'a reconnu publiquement.

Vincent Messier-Lemoyne a écrit:C'est davantage une question de principe, d'intégrité, de transparence et de bonne gestion.

Bien entendu les importateurs sont sans reproche sur ces questions. Alors que certains d'entre eux adoptent à peu de chose près, mais dans une moindre mesure le même comportement que la SAQ.

Vous reprochez à la SAQ de dicter des conditions d'achat aux producteurs, mais vous les accepter de certains importateurs. Quelle ironie!

Pour ceux qui évoquent le respect du client, n'oubliez pas que dans un système capitaliste, cette question dépend pour bien des entreprises de deux choses :
1- La grosseur de votre portefeuille;
2- Si vous êtes fort en gueule ou non.

Je ne vois pas le lien avec le sujet de discussion Patrick, mais peux-tu préciser ce que tu reproches aux "importateurs", sachant qu'il y en a des centaines, aux pratiques variées? Par "vous" j'imagine que tu parles de moi et des autres intervenants?

On parle d'un monopole d'état et des réquisitions, il y a peut-être un lien qui m'échappe, mais si c'est à un autre sujet svp pars une rubrique distincte, sinon lâche toi lousse, je suis capable d'en prendre, mais faut savoir de quoi tu parles et qui tu vises.

J'ai plutôt l'impression qu'il parle du statut d'un client vis à vis une agence et la capacité à avoir accès à des produits qui souvent va en fonction du portefeuille et/ou du lien avec l'agent (sans viser personne bien sûr...)

Une autre histoire d'horreur! J'espère que tu as omis des détails importants, si non, c'est effectivement très gênant pour l'image du marché québécois. Cela dit, j'ai l'impression que le dossier a été mal géré de part et d'autre, car le fait que la SAQ accepte de perdre l'allocation au détriment de l'Ontario, dépasse l'entendement....

Patrick Pollefeys a écrit:

Vincent Messier-Lemoyne a écrit:C'est davantage une question de principe, d'intégrité, de transparence et de bonne gestion.

Bien entendu les importateurs sont sans reproche sur ces questions. Alors que certains d'entre eux adoptent à peu de chose près, mais dans une moindre mesure le même comportement que la SAQ.

Vous reprochez à la SAQ de dicter des conditions d'achat aux producteurs, mais vous les accepter de certains importateurs. Quelle ironie!

Pour ceux qui évoquent le respect du client, n'oubliez pas que dans un système capitaliste, cette question dépend pour bien des entreprises de deux choses :
1- La grosseur de votre portefeuille;
2- Si vous êtes fort en gueule ou non.

Tu ne peux quand même pas nous demander d'avoir les mêmes exigences face à des petites entreprises détenues par des particuliers qu'envers notre monopole d'état qui nous appartient à tous collectivement.

Il ne faut pas perdre de vue la qualité de monopole de la SAQ qui, à mon sens, ne cadre fondamentalement pas dans un système capitaliste qui implique nécessairement un marché ouvert à la concurrence.

Faut juste préciser qu'il n'y a pas vraiment d'importateurs au Québec dans le domaine du vin, il y a des agents...

Ils ont effectivement tous des approches très différentes. Certains rappellent vite et sont très sympathiques, d'autres boudent les petits amateurs car ils jugent que ce n'est pas assez payant. Il m'est même arrivé d'avoir de belles allocations alors que j'étais un client très mineur dans le chiffre d'affaire d'une agence, et j'espère pas parce que j'ai une grande gueule.

Mais effectivement c'est un autre sujet...

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué...

Si je comprends bien, la LCBO héritera de la part du Québec. Que fera-t-elle? Est-ce qu'elle s'en remettra aux agences privées? Ou alors est-ce que le tout se retrouvera dans Vintages?

J'ai l'impression que ce sera la seconde option. Pourquoi la SAQ ne peut-elle pas faire quelque chose de simple comme cela?

Cette formule me convient, car j'ai au moins la chance d'en avoir, tout comme les sorties de vins hebdomadaires à la SAQ Signature. Pour ce genre de vin, mes quelques approches auprès d'agences m'amènent à penser que l'importation privée crée plus de complication qu'autre chose pour tout le monde : les agents qui peinent à choisir à qui les offrir mais aussi les clients qui doivent alors entretenir des liens d'affaire sur nombre d'autres produits pour espérer être un heureux élu.

Je propose de prendre les messages de la page 2 et de créer une nouvelle rubrique. Est-ce possible les admins?

J'ignore, sans doute plus simple de partir une nouvelle rubrique et copier-coller, je peux effacer mais pas sûr de pouvoir faire un transfert

Olivier Collin a écrit:

Si je comprends bien, la LCBO héritera de la part du Québec. Que fera-t-elle? Est-ce qu'elle s'en remettra aux agences privées? Ou alors est-ce que le tout se retrouvera dans Vintages?

J'ai l'impression que ce sera la seconde option. Pourquoi la SAQ ne peut-elle pas faire quelque chose de simple comme cela?

Ce sera probablement une IP en Ontario, les règles y sont plus souples.

Pour ta 2e question, bien sûr que la SAQ peut le faire, mais si le producteur ne veut pas, il y a impasse. C'est le cas avec Rougeard mais pour d'autres aussi. Plusieurs producteurs préfèrent privilégier les clients de longue date et les restaurants. D'ailleurs il y a souvent du Clos Rougeard sur la carte à l'Express, qui le vend moins cher que les boutiques US!